Une chanson interdite ?


Interdite pendant la guerre ? En l’état actuel des connaissances, aucun soldat français n’a été fusillé pendant la guerre de 1914-1918 pour avoir chanté une chanson, même pas l’Internationale ! Aucun ordre interdisant la diffusion de la Chanson de Craonne n’a pu être trouvé, et ceux dont les lettres avec la fameuse chanson avaient été interceptées par la censure militaire n’ont pas été traduits devant un conseil de guerre… Plusieurs soldats ont d’ailleurs conservé jusqu’à la fin de la guerre et sans se le faire confisquer par un gradé, leur cahier de chansons où figurait la Chanson de Craonne, au milieu d’autres, plus anodines (Voir CRAONNE-18-01-03). Ce qui ne veut pas dire pour autant que le commandement encourageait sa diffusion !

Interdite jusqu’en 1974 ? Cette affirmation est souvent reprise, sans doute par analogie avec la fin de l’interdiction en France du film de Stanley Kubrick, Les sentiers de la gloire. Tourné en Allemagne et sorti en 1957, il n’a pas été projeté en France avant mars 1975, à une époque où il n’existait pas encore de mode de diffusion alternatif pour un film. Quant à une interdiction de la chanson jusqu’à 1974 sur les ondes de la radiodiffusion française (en situation de monopole jusqu’en 1981), elle n’a pas existé davantage : ainsi le 8 mars 1963, la Chanson de Craonne a été diffusée à 20 h 30 intégralement, chantée par Ginette Garcin dans Le coin des curieux, une émission de l’unique chaîne de télévision.

Interdite encore aujourd’hui ? Depuis plusieurs années, la Chanson de Craonne est au répertoire de nombreuses chorales et régulièrement au programme de spectacles sur la chanson pendant la Grande guerre. Cependant, dans Chants et musiques de la Grande guerre, un CD édité en 2008, inutile de chercher la Chanson de Craonne parmi les 23 titres reproduits. Thierry Bouzard, qui a supervisé cette production, justifie son choix et explique dans le livret d’accompagnement pourquoi, contrairement à Quand Madelon… « cette création anonyme n’entrera pas au répertoire militaire : les combattants ne tiennent sans doute pas à se souvenir des moments terribles vécus dans ces années d’épreuve qui ont vu mourir 1 400 000 Français ». Ceci explique peut-être ce qui s’est passé le 1er juillet 2016 au cimetière allemand de Fricourt lors de la commémoration du Centenaire de la bataille de la Somme : la chorale de Poulainville qui devait chanter la Chanson de Craonne a dû la supprimer de son programme, officiellement « pour tenir le timing ».

Guy Marival, le 27 février 2017